Lors d’un réquisitoire sans concessions, le parquet de Paris a demandé que les peines maximales pour « pollution maritime » soient infligées au groupe Total. Au-delà de ces sanctions, l’enjeu du procès consistera également à reconnaître la notion de « préjudice écologique ». C’est désormais au juge qu’il appartient de créer une jurisprudence inédite en France et d’affirmer un nouveau droit environnemental.
A l’issue des 3 mois d’audience du procès de l’Erika, des peines maximales, et donc exemplaires, ont été requises par le Parquet. Le délit de "pollution par imprudence et négligence" se traduit par deux amendes de 375 000 euros, l'une contre le groupe Total SA et l'autre contre la société de classification Rina. Contre l'armateur du navire Giuseppe Savarese et son gestionnaire Antonio Pollara, 75 000 euros d'amende ont été requis pour chacun ainsi qu’un an de prison avec sursis pour le délit de "mise en danger de la vie d'autrui". Le capitaine Karun Mathur, absent à l’audience, écope pour sa part de 10 000 euros d'amende.
Au-delà de la sanction économique, les enjeux de ce procès sont considérables tant au plan de la reconnaissance du préjudice subi par les parties civiles qu’au plan de la création du droit environnemental. Sur ce point, le réquisitoire de la procureure Marjorie Obadia est clair. « Nous venons demander que le tribunal fasse jurisprudence, qu’il dise le droit et le fasse appliquer », a-t-elle affirmé devant le tribunal. « Faire jurisprudence, c’est venir affirmer que ce délit environnemental est opérant pour réprimer les fautes qui sont à l’origine de cette catastrophe écologique, c’est dire que ce Tribunal est fondé à dégager les responsabilités pénales et lutter contre cette volonté toujours affirmée de dilution des responsabilités et d’externalisation du risque. Ce n’est certes pas la 1ère fois que nos côtes sont souillées, mais en revanche c’est la première fois qu’une juridiction pénale est saisie sur des pollutions accidentelles ».
« Construire la jurisprudence française »
C’est donc, également, la première fois qu’un juge a l’opportunité de créer une nouvelle jurisprudence environnementale, à travers deux principes : celui du préjudice écologique et celui du « vivant non commercial », plaidé par l’avocat de la LPO, François Xavier Kelidjian. L'enjeu est de taille, car en reconnaissant l’existence juridique du « vivant non commercial », le juge Parlos créerait une première historique en consacrant juridiquement le respect de la biodiversité. Selon Maître Ferré, l’autre avocat de la LPO, le naufrage de l’Erika , qui a entraîné la mort de150 000 oiseaux, demeure aujourd’hui la plus grande catastrophe ornithologique au monde. « Jamais une marée noire n’aura provoqué une telle hécatombe. Le naufrage a eu des conséquences écologiques qui ont vocation à être réparées » a-t-il plaidé avant de conclure : "vous avez l'occasion de faire évoluer la chose plus rapidement que le temps du législateur." Me Thomas Dumont, avocat du département du Morbihan, a lui aussi invité les juges à participer à la "construction de la jurisprudence française".
« Préjudice écologique et souffrance sociale »
C’est sur la notion de préjudice écologique que se fondent les collectivités locales, depuis le début du procès, pour revendiquer au total, 150 millions d’euros de dommages. Elles plaident également un préjudice moral et une atteinte à l'image -par crainte d'entacher un peu plus leur réputation, aucune commune bretonne n'a osé s’exprimer lors du procès-. « L’atteinte à l’intégrité de l’environnement a engendré une souffrance morale », a souligné Jean-Pierre Mignard, l’avocat des 3 régions concernées. Le dommage écologique se conçoit comme le préjudice moral d'une atteinte au patrimoine naturel. Il ne peut s'entendre qu'à travers un préjudice humain. C'est une souffrance sociale", a –t-il ajouté en demandant 30 millions d’euros pour chacune des régions. Au total, les parties civiles, au nombre de 110, réclament au total un milliard d'euros, dont 153 millions exigés par l'Etat. Enfin, Marjorie Obadia a clairement affirmé dans son réquisitoire sa volonté de lutter contre les pratiques de dilution des responsabilités et « d’externalisation constante du risque », sur lesquelles se sont appuyés les accusés. « Face à la complexité du transport maritime international, complexité technique, géographique, fiscale et économique, je veux revenir au B-A BA de la responsabilité pénale », a-t-elle ajouté, faisant allusion aux multiples débats et aux 50 rapports d’experts qui ont occupé le procès pendant plusieurs semaines.
Les audiences doivent s’achever le 13 juin. Elles sont consacrées d’ici là aux plaidoiries de la défense avec, notamment, les avocats de Total, du Rina (société de classification), et de Panship (gestionnaire du navire).
Source : Véronique Smée
Mis en ligne le : 05/06/2007
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Erika : le juge prendra-t-il en compte le préjudice écologique ?